Discours de Thierry LETELLIER (photo de gauche)
René ROMANET 1904-2000
René Romanet est né le 14 novembre 1904 au village du Mazeau à la Villedieu.
Le 14 novembre 1908, sa mère décède à 28 ans, il en a 4.Son père quitte alors
la ferme et reprend son métier de maçon à Faux la Montagne. René et son frère
vont habiter quelques années à Mercier Ferrier chez leur grand-mère. En 1909,
il rentre à l'école de La Villedieu.
En 1914, son père, alors maire de la commune part à la guerre. Il sera blessé
dans l'est de la France. René obtient le certificat d'études primaires et
commence à travailler dans les fermes alentour. 11 novembre 1918, la première
guerre mondiale est terminée mais les morts sont très nombreux. René Romanet
dans son livre cite 10 jeunes hommes de Mercier Ferrier morts au combat, il
cite aussi les statistiques de l'époque : les cantons de Royère et de Gentioux
furent parmi les plus éprouvés du territoire national.
La grande guerre va marquer le jeune René à jamais. A 10 ans son père est
parti. Trois de ses oncles vont mourir. Il prend déjà conscience des vrais
enjeux de cette guerre. C'est à cette époque que naîtront ses sentiments pacifistes
et anti-capitalistes.
Ensuite René, en compagnie de son père et de son frère, est à Féchain dans
le département du nord où ils travaillent à la reconstruction. Il a 15 ans,
c'est son premier contact avec la classe ouvrière qui dés lors sera la sienne.
Homme sensible, généreux, René côtoie l'injustice et l'exploitation. Dans
l'ouvrage publié en 1988, " Le chemin d'un Prolétaire " il écrit : " en me
prononçant pour une vie meilleure pour tous les travailleurs, j'ai maudit
les guerres et le capitalisme, j'ai toujours œuvré suivant mes possibilités
à la victoire du socialisme défenseur des humbles. "
En 1925 alors qu'il est au régiment, René apprend la mort accidentelle de
son père pendant son travail. Sa mère et Eugène, le jeune frère de René, n'obtiendront
aucune réparation.
Ensuite René Romanet s'installe comme artisan charpentier à La Villedieu.
En 1928 il se marie avec Alice Barbezange. Ils ont un fils Henri puis une
fille Marguerite.
1935 est une année d'élection. René est élu Maire le 19 mai.
Ensuite c'est la
guerre d'Espagne, le Front Populaire, la montée du Nazisme en Allemagne. René
crée un comité de défense antifasciste.
La seconde guerre mondiale st déclarée, il est mobilisé et part dans les Vosges.
En 1940 quelques députés socialistes votent les pleins pouvoirs à Pétain.
Il quitte alors le parti socialiste et adhère au parti communiste. De retour
au village, il reprend la vie civile mais très vite et en compagnie de son
épouse, il fournit fausses pièces d'identités et cartes d'alimentation aux
personnes recherchées par la gestapo et la police Française. C'est à cette
époque qu'arrivent Mr et Mme Fanton, nommés aux Postes d'instituteurs. Très
vite, leurs idées et leur sensibilité politique commune font naître amitié
et confiance entre les deux hommes. Les idées de la Résistance font leur chemin,
les réfractaires au STO sont nombreux. Les bois de la région se peuplent de
jeunes gens.
En janvier 1944, se créé le groupe de FTP légaux, La Villedieu-Nedde. Bientôt,
fort de 56 volontaires, le groupe, sous les ordres du colonel GUINGOIN, est
dirigé par Gaston FANTON, René ROMANET, André LESCURE, Marcel BARBEZANGE,
Maurice MADOSSE.
26 Décembre 1944, Alice Romanet, gravement malade décède.
Puis la guerre terminée, la vie reprend ses droits, ici. Mais déjà la république
ressort ses armes pour défendre son empire colonial
Comment les dirigeants de l'époque, dont certains avaient combattu l'occupant
allemand, ont-ils pu dés la fin du conflit mondial se laisser entraîner dans
de nouvelles guerres : Indochine d'abord, Algérie bien sûr.
Comment ont-ils pu aussi vite oublier les horreurs nazis et bafouer la liberté,
la fraternité, l'égalité et les droits de l'homme les plus élémentaires. En
ayant un regard de colonisateurs, de missionnaires, apportant les bienfaits
de la civilisation, les Français et leurs dirigeants n'ont pas voulu voir
qu'ils traitaient avec des êtres humains.
Oui ! René Romanet, Gaston Fanton, Antoine Meunier et tous ceux qui étaient
avec eux, tous ceux qui les ont soutenus ont eu raison.
Mille fois raison de réclamer la paix en Algérie et d'agir par ce geste symbolique
du 7 mai 1956. 7 et 8 mai 1956, un camion militaire s'arrête à La Villedieu.
Les jeunes rappelés manifestent leur opposition à la guerre. La population
les soutient, d'autres arrivent des villages alentour. Le matin, gendarmes
et CRS investissent le bourg. Interpellés Fanton et Romanet sont emmenés à
Gentioux pour y être interrogés. René Romanet déclare prendre l'entière responsabilité
de la manifestation. Il apprendra vite qu'il est inculpé comme Gaston Fanton,
Antoine Meunier et Michel Frangne, un des jeunes militaires.
Fanton sera incarcéré au fort du Hâ à Bordeaux, pendant huit mois. Aussitôt,
un comité de soutien se créa, de nombreuses pétitions circulèrent, des réunions
accueillirent un public nombreux. Un élan de solidarité considérable grandit
dans toute la région.
Mais rien n'empêcha la justice militaire de condamner lourdement : Fanton
et Romanet, 3 ans de prison avec sursis et 5 ans de privation des droits civiques,
Meunier, 1 an de prison avec sursis avec privation des droits civiques. Gaston
Fanton fut également privé du droit d'exercer sa profession d'instituteur
pendant 5 ans.
Des peines disproportionnées, injustes, une parodie de justice pour un procès
politique.
Des peines cependant prévisibles à l'encontre de communistes, de pacifistes,
d'anti-colonialistes. Car la république Française a toujours autant de mal
à se pencher sur son passé colonial. Elle regardait la terre Algérienne comme
une propriété foncière, comme un lucratif réservoir de pétrole et de gaz.
Elle regardait le peuple Algérien comme une réserve de main d'œuvre, calme
et soumise.
Et lorsque ce peuple s'est soulevé, on a évidemment choisi la méthode la plus
facile, la plus primaire pour briser cet élan : la répression puis la guerre.
Les dirigeants politiques d'alors ont remis leur pouvoir, leur mandat aux
militaires. Et la plupart des gens ont détourné le regard et sont restés sourds
à ce qui nous parvenait d'Algérie. Il fallait être courageux pour s'opposer
à cela. Beaucoup ont manifesté, parlé, écrit, pleuré, mais cette guerre a
duré 8 ans.
8 années de tueries
8 années de villages brûlés
8 années de souffrance
8 années de torture, pour faire parler bien sûr, mais aussi pour faire taire,
pour terroriser une population qui voulait sortir de la soumission.
Alors oui, ils avaient raison Romanet, Fanton, Meunier, ils avaient raison
de se battre contre l'ordre établi, la majorité silencieuse, consentante à
la guerre en Algérie, à la tuerie à Paris le 17 Octobre 1961, quand les manifestants
Algériens se sont fait massacrer par la police sous les ordres de Maurice
Papon. Ils avaient raison mais ils ont payé cher, eux et leurs familles. Très
cher cet engagement.
Ils ont payé pour l'exemple, parce qu'on ne doit pas dire la vérité quand
cette vérité fait mal à entendre, parce qu'on ne doit pas discuter les ordres,
l'autorité militaire, les décisions politiques prises au sommet de l'Etat.
On ne discute pas la grandeur de la France.
Et pourtant la France a perdu la Guerre, la France a perdu sa colonie, ses
enfants, Algériens, Français, qui sont morts là bas. Et elle a perdu sa voix.
Rien dans les manuels scolaires sur son aventure coloniale, quelques lignes
sur les " événements ", l'indépendance Algérienne. La république a raté la
décolonisation de l'Algérie. Elle a aussi raté les quarante années de relations
Franco-Algériennes qui ont suivi.
Du chaos, de la guerre, naissent rarement les démocraties. L'Algérie est devenue
un partenaire paradoxal : Amitiés, haines, proximité, éloignement, protection.
L'Etat Français a soutenu parfois son homologue Algérien dans ce qu'il avait
de plus contestable. Et une fois de plus, nous nous sommes éloignés des femmes
et des hommes d'Algérie. Quand ces immigrés sont venus s'installer chez nous,
on les parquait dans les bidonvilles, puis dans des foyers de sinistre mémoire
Non ! La France n'en a pas fini avec son passé Algérien. Il suffit d'écouter
ce qui se dit et ce qui se fait dans nos banlieues, aujourd'hui, pour comprendre
le travail qu'il nous reste à accomplir.
A La Villedieu, ce travail a commencé. Tard, trop tard, mais il est en route.
Il fallait une ingérence extérieure, un aiguillon pour que près de quarante
ans après nous reprenions conscience. Alors merci à toi, Danièle RESTOIN ,
merci à vous les élèves du lycée Marcel Pagnol, de nous avoir remis ces évènements
en mémoire. Merci aux acteurs et témoins de l'époque et merci à Daniel Mermet
qui a amplifié l'écho de ces témoignages. Mais notre travail ne s'arrêtera
pas là. Ce matin nous avons créé l'association " mémoire à vif " qui a pour
premeir objectif d'obtenir la réhabilitation politique de Romanet, Fanton
et Meunier.
Quarante ans après, nous voulons entendre la France et ses responsables demander
enfin pardon, d'abord et surtout au peuple Algérien. Nous voulons aussi l'entendre
demander pardon à ces gens qu'elle a condamnés à tort. Nous voulons qu'elle
écoute tous ces hommes qui ont aujourd'hui 65-70 ans et qui sont revenus d'Algérie,
traumatisés, parfois anéantis à cause de ce qu'ils avaient vu, à cause de
ce qu'on leur avait fait faire là bas.
Après quarante années de silence, de refoulement, la parole est de retour,
le débat est d'actualité, il est enfin public. Beaucoup de ces appelés veulent
témoigner, se libérer du poids qu'ils ont sur la conscience. Eux aussi veulent
demander pardon à l'Algérie. Eux aussi réclament que l'Etat Français prenne
ses responsabilités, reconnaisse ses erreurs du passé. Alors n'attendons plus
! Notre pays ne fera pas l'économie d'un retour sur son histoire s'il veut
sortir du néo-colonialisme, s'il veut intervenir sur le processus d'intégration
actuel et appréhender autrement le monde qui l'entoure.
Il est grand temps d'effectuer le travail de mémoire qui permettra la réconciliation
entre les deux peuples, entre les deux pays, entre nous.
L'Algérie est un pays si différent mais si proche, nos liens culturels, sociaux,
sont si profonds qu'aujourd'hui nous nous devons d'agir avec détermination
et enthousiasme pour mettre en place de nouvelles relations. Battons nous
contre ce réflexe si facile, ce repli sur soi, ce regard malsain sur l'autre
qu'est le racisme.
Et méditons en ces temps troublés le message de Romanet Fanton et Meunier,
ils ont été condamnés parce que plutôt que la violence et la guerre, ils prônaient
la fraternité, la paix entre les hommes.